Arcabas, Liturgie du pain et du vin, huile et or sur toile, 1992
Des objets sont disposés sur la table. Au centre, déposés sur une étoffe froissée, des morceaux de pains aux formes toutes disparates, un verre de vin dont la couleur rougeoie. Autour d’eux, une assiette soutient un couteau acéré et une corbeille de pain. Ce que l’histoire de l’art appelle en français nature morte (still life en anglais, c’est-à-dire vie silencieuse ; bodegón en castillan, associé à la vie ordinaire), le peintre le nomme Liturgie du pain et du vin. Le terme de liturgie fait attendre un calice et une patène mais c’est une simple assiette, un verre et une serviette de table qui apparaissent à l’image. Comme pour dire cette liturgie du quotidien que sont nos existences : autant de manières pour célébrer l’irruption permanente du divin dans notre quotidien dès lors que nous y sommes attentifs.
Si le regard rapide embrasse sommairement la scène, un œil plus patient verra l’étrange projection des ombres sur la table. La lumière semble venir du dessus par moment (comme pour l’assiette), mais aussi depuis la gauche pour les morceaux de pain. La corbeille, quant à elle, est sans ombre, elle paraît flotter. Sur le côté gauche de la table, le bois cède la place à l’or : cette table n’est pas ordinaire ! L’inclinaison de l’assiette ferait croire qu’elle n’est pas droite. Il y a donc une espèce de douce étrangeté dans cet ensemble. Douce car elle ne s’impose pas au regard, elle est disponible à celle ou celui qui est patient. Elle est comme ce miroir tourné vers nous qui interpelle : « es-tu ouvert, toi aussi, à regarder différemment ton quotidien ? À te laisser émerveiller par le tout-petit ? ».
Au dessus des objets ordinaires, il y a des formes que l’on pourrait qualifier d’abstraites. Difficile de les identifier ! Ces formes sont couvertes partiellement par un bleu laiteux. Il y a aussi des cercles concentriques et une croix orange sur fond d’or. On entre ici dans un vocabulaire que le peintre ne souhaitait pas expliciter. C’est une recherche formelle sur laquelle il ne voulait pas s’expliquer. Il nous laisse un espace où exercer notre imagination et notre sensibilité. Peut-être ces formes évoquent-elles un au-delà du quotidien, un ailleurs, une transcendance ou une intériorité. Si les formes diffèrent du quotidien, le bleu du tissu et le marron de la table se retrouvent dans cet arrière-fond abstrait. Figuratif et non-figuratif ne s’opposent donc pas : il y a une circulation entre eux.
Il y a bien des manières d’interpréter une image. Une piste pour aujourd’hui serait d’être attentif à la profonde réconciliation qui se dégage de cette peinture. Réconciliation des objets entre eux, réconciliation entre intérieur et extérieur, entre quotidien et extraordinaire, entre le dicible et l’indicible. Il y a là sans doute une signification de l’eucharistie pour nos existence. Par le don de sa vie, le Christ réunit ce qui était séparé. Ce mouvement est visible non seulement dans nos liturgies mais aussi dans nos vies. Saurons-nous le voir ?
Aumônier en classe préparatoire, PA est passionné d’art et de cuisine. Jésuite des villes plutôt que religieux des campagnes, sa détente préférée est de déambuler dans les musées et les rues de Paris.