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Certains parlent de reconquêtes, d’autres de résurrection. C’est le cas du collectif chrétien Anastasis récemment constitué autour de membres actifs des cafés associatif le Simone (à Lyon) et le Dorothy (à Paris) et d’autres milieux alternatifs d’obédience catholique.

Cette référence au terme grec anastasis – un mot qui signifie à la fois « soulèvement, insurrection » et « relèvement, résurrection » ‒ traduit un approfondissement de la démarche amorcée il y a environ une dizaine d’années par de jeunes catholiques lyonnais autour des Alternatives catholiques. Dans un contexte ecclésial marqué par « La Manif pour tous » , leur réflexion politique catholique voulait tenir compte de toutes les dimensions de la Doctrine Sociale de l’Eglise, notamment en matière sociale et environnementale, et pas seulement bioéthique ou morale. Depuis cette époque, les pensées se sont affinées, les expériences et les espoirs affermis : le souci d’offrir une alternative est devenu un désir, celui d’un basculement et d’un renversement : anastasis, soulèvement et résurrection.

Les membres de ce collectif s’expriment par des tracts et des publications numériques, mais aussi à travers l’ouvrage co-écrit par trois de ses membres La communion qui vient, Carnets politiques d’une jeunesse catholique paru au Seuil en 2021. 

Face à une idéologie néolibérale qui avance masquée sous les traits d’un mode de gestion neutre du social, le collectif dénonce une option préférentielle pour les riches. Il n’hésite pas à prendre nommément à partie le « macronisme ». Cette critique me semble pertinente car elle émane de jeunes chrétiens issus de classes sociales favorisées, comme la plupart des jeunes catholiques d’aujourd’hui, pour qui une telle prise de conscience ne va pas de soi. En effet, le propre de la violence symbolique est de s’exercer sans se faire sentir en apparaissant comme légitime. Or la plupart des inégalités suscitées par le système économique actuel n’apparaissent pas seulement comme légitimes à de nombreux catholiques français ; du fait de cette sociologie, ils n’en éprouvent tout simplement pas les conséquences. Voilà pourquoi ces inégalités appellent aujourd’hui une véritable conversion du regard de la part des catholiques pour qu’ils portent un jugement plus ajusté ‒ plus social ‒ sur les politiques actuelles. Dans ce contexte, le pied dans la porte que constituait l’appel à ne pas voter pour Emmanuel Macron au premier tour sur la base de son bilan socioéconomique fortement inégalitaire m’apparait comme un geste intéressant.

A partir de là, faut-il parler d’un christianisme de gauche ? Les membres du collectif s’en défendent et invoquent leur souci de cohérence évangélique. Leur ambition est plutôt de faire valoir un christianisme politique en refusant le grand partage libéral de la modernité qui relègue la foi dans le domaine de la sphère privée. Pour eux, la foi évangélique authentique ne peut qu’influer de façon effective sur l’organisation du social et cela dans au moins deux directions : celle d’une répartition très accrue des richesses ou encore l’exercice de l’autorité sous le mode du service et non de la domination.

Cette radicalité amène les auteurs à mondaniser leurs espérances chrétiennes dans une perspective messianique – le Royaume est déjà commencé, possible et expérimentable dès ici-bas. De ce fait, ils sortent de la « réserve eschatologique » : cette clause qui, en vertu même de son ampleur, inscrit l’espérance chrétienne dans un horizon qui dépasse l’histoire des hommes. De cette attitude découlent un sens très profond de l’action salvifique de Dieu dans l’histoire en même temps qu’un sentiment de vertige face à l’immensité de la tâche ainsi convoquée. Où une pensée aussi exigeante et radicale trouvera-t-elle sa mesure et parviendra-t-elle à condamner sans accuser ses frères ou à pardonner sans excuser ? Il nous semble que les membres du collectif trouvent la réponse à cette question dans leur fidélité aux événements. La foi dans l’incarnation s’atteste ici par le réalisme des analyses. Les différentes tribunes frappent ainsi par la qualité et la rigueur objective de leurs arguments. Une double conviction s’exprime dans ce geste : d’une part, à travers nous, Dieu cherche à se faire une place dans l’histoire et, d’autre part, la pensée sincère finit toujours par se frayer un chemin quand elle s’affronte aux véritables problèmes. Une foi dans la Providence, en somme.

Un autre mérite de cette initiative est de faire exister au sein du peuple de Dieu une diversité dont celui-ci a bien besoin. Dans une récente conférence à La Catho de Paris, le journaliste et religieux assomptionniste Dominique Greiner évoquait la nécessité pour l’Eglise de France de trouver des relais autre que liturgiques pour se structurer comme corps ecclésial. Car si la liturgie peut remplir cette fonction de façon particulière et éminente, elle ne suffit pas à couvrir l’ensemble des dimensions de la vie chrétienne. Il soulignait également l’importance des mouvements d’Eglise car le peuple de Dieu n’est pas simplement composé d’une juxtaposition de personnes. Ce peuple existe tout autant à travers ses communautés et ses institutions ; elles lui apportent sa pluralité et contribuent à sa vie, comme le suggère la figure du polyèdre chère au Pape François. Tel est bien l’un des chemins vers cette Eglise non cléricale à laquelle nous appelle aujourd’hui le pape : celui de donner crédit à des voies chrétiennes autres que hiérarchiques.

Anastasis, insurrection, résurrection. Pour notre part, nous retenons de notre rencontre avec ce collectif un autre terme : la conversion. L’étymologie du mot (en grec metanoia : changer d’avis, se repentir, ou strepho : se retourner, se convertir) indique la capacité à se laisser bousculer pour apprendre à voir les choses différemment. C’est pourquoi elle est un complément nécessaire aux ambitions de transformation de l’histoire. Elle les ancre dans un rapport de soi à Dieu, au monde et à autrui le plus juste possible, toujours ouvert à la surprise. Un terme si proche de la résurrection comme en témoigne Marie-Madeleine au tombeau : « Tout en parlant elle se retourne et elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était lui » (Jn 20, 14).

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