Quand je suis arrivé comme aumônier en classes préparatoires, un de mes prédécesseurs avait mis en place un atelier de conversation entre des personnes exilées et des étudiants. C’est peu dire que cette activité me rebutait tant je me sentais démuni face à ce public. Pour tout dire, il me faisait peur.
Il aura fallu une bonne année pour que tombent les obstacles en moi grâce à l’accueil que m’ont prodigué ceux-là mêmes que je devais accueillir. Par la rencontre, ils ont mis de la chair sur ce qui n’étaient que des idées. J’ai vu l’incroyable dignité de personnes qui ont tout quitté et surtout j’ai admiré leur détermination, si intense face à ma tiédeur.
Grâce à eux, mon rapport au monde s’est étendu. Il n’y a plus mes semblables d’un côté et les autres. Nous marchons « vers un nous toujours plus grand ».
Aujourd’hui, je suis encore un peu mal à l’aise quand nous nous rencontrons. Ils me rappellent que le monde dans lequel nous vivons est plus complexe et plus injuste que celui que j’aime à imaginer. Que ma vue est encore trop myope. Par leur présence, ils apportent ce que le poète Gilles Baudry qualifie « d’inouï du regard ». Dieu que cette nouveauté est dure et nécessaire à recevoir ! Pourtant, de tout mon cœur, j’espère que cette gêne ne disparaîtra pas tant elle m’apprend à regarder vraiment. A devenir plus humain.
* * *
Proche de vous mais le regard lointain,
ai-je l’air à ce point
d’émigrer vers l’ailleurs
que vous vous demandiez si je suis l’un
des vôtres ou quelqu’un
d’autre si plus que vous
j’éprouve le manque ouvert par l’absence ?
Pardonnez-moi
si je vous semble différent
lorsqu’un accès de solitude
vient à s’immensifier
ou à bourdonner mon silence
Vous vous mettez soudain à l’écouter
ensemble. Amis,
mes yeux n’ont pas d’autre saison.
Gilles Baudry, Nulle autre lampe que la voix, Rougerie, 2006, p. 70
Le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) accompagne demandeurs d’asile et réfugiés depuis 1980.
Aumônier en classe préparatoire, PA est passionné d’art et de cuisine. Jésuite des villes plutôt que religieux des campagnes, sa détente préférée est de déambuler dans les musées et les rues de Paris.