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« Bons élèves », c’est le nom du titre. Le clip, en blanc et noir, s’ouvre sur un texte : « Big Flo s’est toujours trouvé trop maigre », puis laisse parler l’image : un torse aux os saillants, fine pellicule de chair. Big Flo est maigre. « Il n’aime pas son gros nez… ni ses grandes oreilles. » Gros plan : gros nez et grandes oreilles. Florian a un gros nez, de grandes oreilles. « Pour ce clip il a décidé qu’il en avait plus rien à faire. » On sort les dossiers.

Piano, contrebasse, sample au grésillement vintage style tourne-disque de brocante, puis la voix de MC Solaar posée, grave, incisive : « Flashs, photos, tu signes autographes et contrats / Mama, j’suis une star, pardon si je n’réponds pas. » 

Fragiles et crus, les sympathiques Toulousains rappent leur confession : addictions, égocentrisme, délires narcissiques… « Je vois qu’on se lâche », commente le vieux Solaar mi-démon, mi-ange, alors que les premiers de la classe s’autoclashent. 

Mais personne n’est dupe. Oli l’a bien compris :  « Je suis presque devenu un politique/
Et j’veux tellement être exemplaire… »Et Solaar de finir sa phrase :  «… Que tu rappes ton auto-critique. »

Alors Big Flo & Oli, son d’Avent, d’attente et d’espérance, ou son de pénitence irrévérencieuse ? 

L’art de la confession, c’est le savoir-faire de l’influenceur ; nous sommes tous un peu des héros ébréchés, des losers déguisés en habits de lumière. Alors, rapper son auto-critique, publier une vidéo Tik Tok pour laisser vivre son angoisse en plein-jour, c’est se montrer courageux, authentique, et enfin : inspirant… Et entendez l’anglicisme derrière : inspiring 

Etre inspiring, c’est en somme dire au monde entier : moi aussi, je suis comme vous, je vous ressemble et vous avez le droit de douter, de trébucher, de boiter, de vous sentir sale, vil et menteur. Otez vos habits de lumière et présentez-vous sans fard ! La vulnérabilité, c’est la nouvelle mode. Vraiment ?

Loin de moi l’intention de faire le procès de Big Flo & Oli ! Qu’est-ce qu’ils pointent juste lorsqu’ils chantent le paradoxe du genre à la mode : « nouveaux symboles caricaturaux », ils portent « l’humilité comme un bling-bling ». « Égocentriques »,  ils s’appuient sur « le cœur des autres pour être à la hauteur » et font « des titres sur les histoires des potes sans leur donner de droits d’auteurs. » Et Solaar d’ajouter par-dessus : voleurs ! 

Mais l’art, c’est emprunter un peu d’âme pour la magnifier en miroir. Il y a un art grossier et impudique. Il y a un art d’une intimité qui ne dit pas tout, mais juste ce qu’il faut. La vulnérabilité doit se conjuguer en points de suspension impressionnistes. Le solo de trompette d’Oli en conclusion du morceau est un exemple de ce type de dévoilement feutré qui dit vrai sans trop dire.

Alors Big Flo & Oli, son d’Avent, d’attente et d’espérance, ou son de vendredi saint sans pâque ? 

Nos Toulousains reprennent à leur manière le rap des Écritures, en épousant le flow du Saint Patron du genre, Qohéleth dit l’Écclésiaste. « Vanité, vanité des vanités… » Mieux traduit : « Vent, vent, tout ça c’est du vent. » Du vent : que ton nez soit trop gros trop petit… Du vent : que tu vendes des disques ou pas… Du vent : tes likes ou pas likes… Du vent : tes complexes, tes péchés, ton art qui rate sa cible parfoisC’est qu’il faut aller de l’avant, et assourdir les mauvaises ondes à coup de trompette !

Dans leur album « Les autres, c’est nous », Big Flo & Oli chantent aussi « Sacré Bordel » comme pour rappeler aux chrétiens que le petit Jésus, lui aussi, est né au milieu d’un sacré b… : une ville inhospitalière, une crèche qui pue la vache et le foin. Au cœur de cette nuit, le cri strident du bébé Dieu sonne comme un cuivre qui appelle à lui tous les cœurs d’enfants. Plus tard, lui aussi rappera la critique d’une époque pour dire : je ne suis pas né pour les forts et les bien-portants, je ne suis pas venu pour les bons élèves.  

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