A l’orée du carême, les supports se multiplient pour évoquer des efforts spirituels saupoudrés de développement personnel. Il s’agira de mettre en œuvre de nouvelles habitudes, de se transformer, en mélangeant allègrement la conversion et une construction de soi volontariste. L’effort de carême devient alors une fin en soi au lieu de rester un simple moyen.
Comme souvent, l’art peut s’avérer une ressource pour revenir autrement à notre propre vie. Un chapiteau dont j’aime à admirer le moulage à la Cité de l’architecture me revient régulièrement en tête. C’est un Christ entre deux démons tentateurs à Plaimpied au 12ème siècle. L’un est couvert de poil, l’autre est nu et lui tend un morceau de pain. On pourrait attendre une attitude forte d’un Christ en surhomme. L’interprétation de l’artiste est toute autre : le Christ danse !
Tenant en main le livre de la parole de Dieu, il esquisse un mouvement qui n’est pas sans rappeler l’art Champa dans un rapport assumé au corps. La tentation n’est pas qu’une affaire intellectuelle ou seulement de volonté. Par la danse, c’est son corps tout entier que le Christ engage, et avec lui ses émotions et ses affects.
Ce mouvement trace une voie nouvelle entre opposition frontale et lâcher-prise. Une voie de souplesse et de légèreté. Sans doute, le secret de cette attitude, le Christ le tient en main : il s’appuie sur la parole de Dieu. Pas d’héroïsme ou de fantasme de toute-puissance, sa force est en dehors de lui.
Pleinement libre et ouvert à la volonté de son père, le Christ est celui qui est « sans appui et pourtant appuyé ». Marchons à sa suite et voyageons léger !
Libre est mon âme de tout lien
Jean de la Croix
qui tienne à chose créée.
Au-dessus d’elle-même élevée
menant savoureuse vie,
en son Dieu seulement appuyée,
N’est-ce pas là déjà dire
la chose que je prise le plus :
que mon âme ainsi se voit
sans appui et pourtant appuyée.
Poème et titre tiré d’un article de Philippe Charru sj dans la revue Études en 2011
Aumônier en classe préparatoire, PA est passionné d’art et de cuisine. Jésuite des villes plutôt que religieux des campagnes, sa détente préférée est de déambuler dans les musées et les rues de Paris.