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Saint Ignace de Loyola nous a appris à « chercher Dieu en toutes choses » et à exercer notre regard pour apprendre à le trouver dans la réalité de ce monde. De ce point de vue, regarder les Jeux Paralympiques revient à procéder à un exercice de discernement spirituel à grande échelle, un peu comme ces grandes manœuvres d’entrainement militaires sur des terrains de plusieurs centaines d’hectares. Mais ici, le combat est spirituel.

              Avant de parler des Jeux Paralympiques, il faut cependant revenir sur l’expérience des Jeux Olympiques, car ces premiers arrivent opportunément pour nous permettre de prendre du recul sur la grande fête que nous avons vécue. Pour ma part, les JO furent une expérience d’engouement. Parti « blazé » et un peu gêné par les questions éthiques et morales que posaient cet événement, je m’étais réfugié dans une sorte d’indifférence teintée d’attentisme et non dénuée de snobisme : c’était leurs jeux, moi j’allais partir en vacances. Et pourtant, je me suis laissé prendre aux Jeux, si vous me permettez l’expression… Il s’agit sans doute d’un souvenir inconscient lié à mon enfance (j’avais 6 ans lors de la coupe du Monde de 1998) et à la mémoire des longues heures passées dans le canapé du salon, rituel repris tous les quatre ans mais abandonné à l’âge adulte. La fibre patriotique, ne nous en cachons pas, y était aussi pour quelque chose … Je me suis donc plongé intensément dans les Jeux Olympiques et je peux dire qu’à l’approche de la ligne d’arrivée, j’ai suivi l’intégralité des finales de sport collectif où concourraient des français – cinq matchs en 24 heures – et j’ai sauté de joie pour la médaille d’argent remportée en 100 mètre haie féminin par Cyréna Samba-Maleya, la première et l’unique de l’athlétisme français aux jeux de Paris.

              Visiblement, l’engouement que j’ai ressenti était partagé. La France s’était parée de couleurs bleu-blanc-rouge, gagnée d’une fièvre tricolore dont on ne la croyait plus capable. Et puis la fête s’est terminée et chacun est rentré chez soi. C’était très bien comme ça.

On aurait pu en rester là, mais les Jeux Paralympiques arrivent au bon moment pour nous replonger dans les émotions du sport, nous offrir un contraste et par là nous interroger. Le rythme du handisport n’est pas le même. Les épreuves nous confrontent à de nouvelles émotions et pour ma part, celles que je ressens ne sont pas toutes lisses : durant la première rencontre de basket fauteuil que j’ai vu, j’étais ainsi partagé entre une forme d’admiration pour ces hommes et le désir que le jeu aille plus vite, comme ce que je connaissais du basket ordinaire. J’ai à découvrir une grandeur qui a des points communs avec celle que j’ai admiré aux JO, mais aussi en diffère. Les paralympiques vivent la sportivité et la performance, ce sont des compétiteurs ; mais dans la polyphonie de la vie, la note de cette sportivité est différente. Je dois apprendre à la goûter comme quelque chose qui a sa valeur propre.

Tout le monde souligne que les Jeux Paralympiques sont une occasion de changer de regard sur le handicap et son inclusion dans la société. C’est bien sûr vrai. Cependant, je me demande si ce changement de regard ne va pas plus loin ? Trois semaines après la fin des Jeux Olympiques, je me rends compte que quelque chose de mon engouement d’alors se révèle peu durable, sans consistance. Pourtant, les JO étaient pleins de belles histoires, sans doute celle de chaque athlète. Comment ai-je regardé les JO et participé à cette grande célébration ? A-je su voir, écouter, entendre ces histoires qui accompagnaient chaque athlète ? Les règles de l’Olympisme, notamment avec leur valorisation du sport amateur qui perdure, étaient pourtant une bonne base. Mais les histoires étaient passées au second plan derrière l’attrait pour la victoire. Un indice aurait pu me mettre la puce à l’oreille : la manière de parler des échecs. La voix du commentateur sportif était presque toujours la seule à souligner à quel point l’échec faisait partie du sport de haut niveau et ne pouvait pas être écarté. Le journaliste acquiesçait mais, sans doute comme moi, il ne pouvait comprendre. 

Sous les lauriers de la gloire, les histoires des sportifs s’étaient donc flétries. L’histoire du vainqueur lui-même m’intéressait moins que sa victoire. Quelque chose comme « l’image » avait pris le pas sur la réalité. L’humanité des sportifs m’échappait … pouvait-il en rester quelque chose ?

Finalement, c’est peut-être que nous enseigne magistralement le handisport, et qui concerne tous les sportifs, quels qu’ils soient : tout sportif a une histoire qui n’est pas faite que de victoires et de choses heureuses. Sans dire que la souffrance est ce qui donne son sens à la victoire, tenir compte de l’ensemble du tableau permet de mieux apprécier ces résultats, tout comme les défaites des autres compétiteurs. En fait, les paralympiens nous invitent à changer de regards sur les sportifs valides eux-mêmes et à humaniser notre regard sur leur succès. Ce renversement des valeurs, cet enrichissement à partir de la contemplation de celui qui semblait plus petit, me fait penser à une parole des psaumes reprise à son compte par Jésus pour souligner la libéralité avec laquelle Dieu choisit de parler là où les hommes ne s’y attendaient pas : « La pierre rejetée des bâtisseurs est devenue la pierre d’angle / C’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux » (Ps 118, 22-24). Ouvrons grands les yeux !

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