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Photo Francesca Montovani

Mon cœur s’est serré ce vendredi à l’annonce du décès de Christian Bobin. Un mois après Pierre Soulages, comme la réplique d’un tremblement de terre. Le poète avait si bien écrit sur le peintre, eux qu’une commune qualité d’être rassemblait. 

J’ai découvert sa poésie bien tard. Je ne la connaissais que par ouï-dire. Par ceux qui la trouvaient mièvre ou naïve. Sans doute, la simplicité de son écriture n’est pas assez disruptive pour une société avide d’intensité d’expérience. On caricature aisément Bobin comme un béat angélique. 

Il suffit pourtant d’ouvrir un recueil pour percevoir sa grande délicatesse. Il ne délaisse pas l’épreuve de l’existence. « Il n’y a pas d’autre raison de vivre que de regarder, de tous ses yeux et de toute son enfance, cette vie qui passe et nous ignore » (La nuit du cœur, 2018). La contemplation des choses simples est une décision et non une facilité. Face à la tentation de croire à l’absurde, le poète s’engage dans le dépouillement du chemin.  «  Il m’est arrivé d’accrocher mon âme à des buissons. Pour la ravoir, il me fallait tirer et inévitablement la déchirer. Ces accrocs font sa lumière. » (Pierre,

La contemplation est avant tout intérieure, elle est le retentissement de l’expérience. « Ce que j’appelle penser, c’est être appelé, convoqué soudain par une parole qui ne se forme ni dans le cerveau ni dans la bouche, mais dans cet abîme que nous portons en nous, où nous n’allons jamais, ce puits sans fond d’où montent des voix d’enfants et des étoiles, le cœur. » (Pierre,). Le poète est donc celui qui fait face à l’abîme et ne cède pas à la fascination. Il y a chez lui une liberté qui l’ouvre à plus grand que lui.

Le lecteur de Bobin peut à son tour entrer dans la marche gracile de celui qui guette la voix hors des ténèbres. « L’âme est une pierre détachée d’une montagne de lumière. Elle roule jusqu’à la vitre noire de la mort qu’elle fait voler en éclats » (Les ruines du ciel). Son expérience poétique lie le voir et le croire, sa simplicité est école du regard. « Ce sont les incrédules qui sont les vrais naïfs » (Les ruines du ciel). 

En parcourant son œuvre, il me semble que Bobin distribue des fragments d’étonnement avec un enthousiasme communicatif. Lorsque les réseaux sociaux et les chaînes d’information charrient d’exorbitants scandales, sa poésie invite à cultiver son regard et à s’émerveiller d’une beauté si ordinaire qu’on passerait devant elle sans la remarquer. « Je cherche matière de louange partout, même dans le pire » (La plus que vive). 

Bobin sera peut-être un bon guide en ce temps de l’Avent, pour rester à l’affût du plus ordinaire et y découvrir sa splendeur cachée. Il n’y a pas trop de quelques semaines pour cultiver un rapport plus poétique au monde, non pas dans le lyrisme tapageur mais dans la voie des simples. Alors nous tenterons d’apercevoir, dans le tumulte d’une scène d’hiver, au milieu des mille activités de cette vaste étendue blanche, les pas d’une femme juchée sur un âne que guide son époux. Et caché au creux de son manteau, celui qui vient apporter notre salut.

Pieter Brueghel l’Ancien, Le Dénombrement de Bethléem, 1566

4 réponses

  1. Merci pour ce Très bas qui nous a donné la lumière du Très Haut. « Cloîtré derrière des piliers d’encre, j’appartiens au soleil »; Je retourne à mon père par les sortilèges de l’écriture »; « Une araignée bâtit une rosace autour d’une pensée forte! » Tu nous laisse tes écritures !
    François

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