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Les fêtes du 14 juillet de cette année n’auront pas l’attrait habituel. La similitude entre l’artifice censé nous distraire et les fusées incendiaires qui ont pris une certaine avance sur les évènements interdira souvent de profiter du spectacle comme nous l’avions espéré, tandis que la sécheresse invite à la prudence.

Depuis l’Espagne où je vis actuellement, et après une année turbulente pour la France que j’ai vécue intégralement hors de son territoire, cette déconvenue m’invite à réfléchir sur mon pays. Derrière les circonstances aggravantes, je suis tenté de voir la continuité. Ce que j’ai appris depuis la distance, je voudrais vous le partager.

Malgré les déformations médiatiques qui doivent inviter à la prudence, la violence semble avoir été l’un des axes majeurs de cette année vécue dans l’Hexagone. Quand les banlieues s’enflamment, on est surpris de voir les journalistes et les commentateurs traiter cela comme un phénomène particulier, à appréhender “en soi”, avec ses causes spécifiques et bien distinctes (éducation, démission parentale, trafic de drogues, la liste infinie des problèmes sans solution). En réalité, cet enflammement est un phénomène diffus. Les jeunes qui flambent des voitures n’étaient pas nés en 2005. Ils ont vu les gilets jaunes, les manifestations contre les retraites, les luttes chaque fois plus violentes dans différents secteurs d’engagement, la violence policière. Sans justifier leur violence, la mettre en exergue comme si elle avait quelque chose de spécial revient à chercher à retirer la paille qui est dans l’oeil du voisin sans voir la poutre qui est le sien. 

Mais d’où vient cette violence ? J’ai vu en Espagne des églises où les portiques comportaient tous les visages des saints et des anges, et j’ai été ému. J’ai participé à des processions séculaires où la ville toute entière battait au rythme de ses traditions, au cours d’un événement qui rassemblait chacun au coeur d’une expérience commune. J’ai réalisé que j’appartenais à une histoire marquée par la violence, à une culture mutilée. Cet instinct révolutionnaire dont j’avais toujours été si fier, je voyais l’envers de son décor. Les luttes si profondes qu’avait vécu la France l’avaient laissée exsangue sur le plan culturel. L’Espagne traditionnelle et vivante, l’Espagne à purifier, préservait un patrimoine symbolique incomparable avec celui dans lequel j’avais grandi. Je prétendais appartenir à un peuple éclairé, mais je ne connaissais que les feux d’artifice et le bal du 14 juillet… 

Cependant, cette pauvreté française n’est pas sans conséquence. La culture populaire est un patrimoine partagé par tous, à commencer par les plus petits, les personnes de condition modeste. Elle permet de vivre une expérience partagée, où nous sommes tous sur le même plan. Elle offre une dignité à tous ceux qui y participent. Et si les manifestations multitudinaires trahissaient un secret désir de communion, de fraternité dans l’expérience commune que n’offre plus notre société ? 

​Contentons de poser cette question, laissons de côté celle de savoir d’où pourraient venir ces expériences. Remarquons seulement que les symboles républicains sont fanés. Avec politesse, on s’efforce d’en prendre soin. Les chrétiens sont bien conscients de leur devoir civique, leur rôle de support, de fondation de cette République que bien souvent ils soutiennent de leur engagement, qu’il soit professionnel ou associatif. Et si le temps n’était plus seulement à la politesse, sinon à une forme d’audace culturelle qui sache affirmer et célébrer dans l’espace social les racines de notre engagement? Et si la culture populaire chrétienne était appelée à retrouver une forme de vitalité pour offrir aux hommes et aux femmes de ce monde des temps et des espaces où la transcendance ait droit de cité ? Cette initiative serait tout le contraire d’une affirmation identitaire de la foi chrétienne dans l’espace public. Inventant depuis la Tradition, elle serait fondamentalement missionnaire, cherchant avant tout à offrir, ouvrir.

​Alors cesserait cette violence originelle qui consiste à nier la transcendance, cette dimension essentielle de l’être humain. Alors les Français n’auraient plus à chercher dans des manifestations à coups de casseroles le sentiment d’une commune appartenance. Alors la frustration trouverait peut-être un autre débouché que celui de la violence. Alors nous serions de nouveau un peuple.

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