Temps de lecture : 3 minutes

Photo: Mykola Swarnyk [Wikimedia Commons]

J’ai beau habiter une communauté qui porte son nom, je ne connaissais jusqu’à récemment que peu de choses de la vie et de la mission de Saint Jean de Brébeuf : Normand né à la toute fin du 16e siècle, grand jésuite, évangélisateur ardent des populations huronnes au Canada Français, … Et surtout martyr héroïque de ses tortionnaires iroquois qui n’avaient, semble-t-il, absolument rien à envier aux pires bourreaux de l’histoire… Assez donc pour le classer vaguement parmi ces missionnaires d’un autre temps, d’un zèle un peu trop épris de souffrance à mon goût. Trop peu pour saisir la finesse et l’intelligence de son caractère, de son activité missionnaire, et tout simplement de sa vie spirituelle… 

Fort heureusement je me suis finalement plongé ces derniers jours et sur le conseil de mon supérieur dans la biographie écrite par René Latourelle, un jésuite canadien, théologien, mort en 2017. J’y ai découvert une personnalité profondément attachante, exemplaire à bien des égards, et inspirante pour les chrétiens d’aujourd’hui et la mission !

Première découverte, St Jean de Brébeuf fut un ethnologue hors pair ! Pionnier de la mission auprès des Hurons, il va d’abord passer plusieurs années à vivre au milieu des villages hurons, en suivant leurs manières, en apprenant patiemment leur langue, en déchiffrant leurs coutumes, leurs croyances, leurs modes de gouvernement… Un travail patient de rencontre et de vie commune, dont les fruits seront non seulement les premiers dictionnaires et grammaires de la langue huronne, mais aussi une compréhension plus juste et fine de la culture huronne, qui pouvait désarçonner à première vue un missionnaire chrétien. Loin de l’imaginaire d’un évangélisateur fou et un peu brutal, Jean de Brébeuf se caractérise par une intelligence fine et observatrice, une grande douceur, et un bon jugement, qui en feront notamment un supérieur apprécié.

C’est sans doute moins surprenant : Jean de Brébeuf a un cœur ardent pour évangéliser et partager sa foi au Christ. Mais on comprend désormais, avec toute la période d’immersion qu’a vécue Jean de Brébeuf, que cet effort d’évangélisation ne se résume pas à l’imposition de contenus et de formules importés brutalement de l’extérieur. L’étude patiente des mœurs et croyances locales nourrit un dialogue entre la foi chrétienne et la culture des Hurons. Les missionnaires jésuites apprennent progressivement à reconnaître ce qu’il y a de bon dans celle-ci, et à inventer avec créativité les manières les plus justes et adaptées de proposer les contenus de la foi chrétienne. Surtout, placés en situation de grande vulnérabilité dans des villages parfois très hostiles, la force du témoignage des missionnaires repose essentiellement sur leur charité : la douceur avec laquelle ils entrent en contact avec les villageois, le soin qu’ils prennent des malades et des plus fragiles.

Jean de Brébeuf, martyr de la charité. Peu avant la moitié du 17e siècle, Latourelle suggère que la Nation huronne s’est assez largement convertie au christianisme. C’est au même moment, que les Iroquois, armés en arquebuses par les Hollandais[1], se lancent dans une guerre d’extermination contre les Hurons. Ce contexte éclaire me semble-t-il le martyre de Jean de Brébeuf et son itinéraire spirituel. Jean de Brébeuf meurt de la main des Iroquois, avec le peuple qu’il a connu, fréquenté, et auquel il n’a cessé de partager sa foi. Son martyre est aussi celui de la nation huronne qui est devenu son peuple. L’itinéraire spirituel que retrace Latourelle témoigne du désir croissant de Jean de Brébeuf, tout au long des étapes de la formation jésuite, de s’abandonner davantage à Dieu, de suivre le Christ jusqu’au bout, et même dans la souffrance et le martyre. Mais pour ce cœur brûlant de charité, c’est bien à l’amour des plus pauvres et du Christ, que s’ordonnent et puisent leur saveur, le courage, l’abnégation, et l’héroïsme de Saint Jean de Brébeuf


[1] La biographie de Latourelle permet de saisir aussi le rôle important des puissances coloniales européennes (Angleterre, France, Hollande) dans les conflits entre nations indiennes, qu’il soit direct ou indirect : développement du commerce et de la concurrence entre les nations indiennes, exploitations de la faune locale et parfois aussi épuisement des ressources, épidémies, armement des nations indiennes… Pour aller plus loin :  LATOURELLE, René, Jean de Brébeuf. Montréal, Bellarmin, 1993

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *